La matinée était passée lentement, très lentement. Cloîtrée dans son cabinet de travail, Lenora avait tout d'abord mis par écrit le rêve qu'elle avait fait cette nuit, puis l'avait comparé avec la prophétie. Cette prophétie, elle en avait pris connaissance lors d'un séjour sur l'île de Samaeria. Sa mémoire n'étant pas trop mauvaise, elle avait retenu la plupart des vers et les avait retranscrits dès son retour à Ferinya. Selon les dires, l'identité du prophète était restée anonyme et on ne savait pas de qui elle parlait. Mais le sens premier était parfaitement clair. Une guerre était imminente, si pas déjà entamée, et il existait un moyen de l'empêcher de naître. Lenora rêvait presque chaque nuit de villes assiégées, de campagnes saccagées et de forêts calcinées, et elle ne savait pas si c'était l'image d'une fin inéluctable ou l'hypothèse du futur. Si elle faisait confiance à la prophétie, la guerre était alors évitable. Restait à voir si c'est ce qu'elle voulait. Car sa haine envers les Atalanteas ne s'était pas émoussée avec le temps. Au contraire, elle brûlait de venger les siens. D'un autre côté, la cessation des hostilités était nettement préférable à la vengeance, et elle savait le reconnaître.
Elle s'était donc penchée sur la signification de la prophétie, mettant en relation chaque phrase avec un bout de son rêve.
Il fut un temps passé
Où Selenei vivait en paix,
Le vent soufflait en liberté,
Mais le malheur faisait le guet.
Dans son rêve, elle voyait des villes et des villages prospères où chacun vivait en paix avec son voisin. Mais derrière les sourires et le commerce, des regards en biais et de la jalousie apparaissaient.
C'était une conséquence inévitable. Dans chaque royaume, dans chaque monde, la paix était attaquée par la convoitise et la jalousie. Peu à peu venaient les disputes, les bagarres et puis les guerres.
Naîtront une nuit
D'un amour proscrit,
Deux fruits jumeaux
Etranges et beaux,
Là, elle ne voyait pas ce qui pouvait être mis en parallèle de son rêve à la prophétie. Il y avait bien eu une nuit exceptionnelle symbolisée par une éclipse de lune, mais rien concernant des fruits jumeaux.
Une fois arrivée à cette conclusion, Lenora avait abandonné pour la journée. Peut-être son rêve n'était-t-il que le reflet de sa peur de l'avenir? Voir le monde affligé par la guerre et regretter le passé étaient des choses normales. Après tout, chaque génération a toujours considéré sa propre époque comme l'âge de fer, l'ère des misères. Dans les légendes d'autrefois figuraient également des batailles et des malheurs, mais les narrateurs avaient préféré conter les exploits et les bienfaits de la nature.
Lasse, Lenora s'était décollée de son bureau et était sortie, Lyam sur l'épaule. Le chwan accompagnait toujours le gouverneur lors de ses escapades en ville. Lenora avait enfilé une cape longue dotée d'une capuche, avait soigneusement noué sa longue chevelure dorée afin qu'elle ne dépasse pas du capuchon et avait attaché son épée à son côté. Personne ne la reconnaîtrait comme le gouverneur de Samna mais la verrait plutôt comme une habituée du marché. Ses vêtements de couleur bleue étant de très bonne qualité, on la laisserait tranquille, pensant avec raison qu'elle était de la classe supérieure.
Lenora avait horreur de ces marques de distinction, c'est pourquoi elle prenait toujours soin de dissimuler un minimum son identité.
Elle était donc occupée à flâner le long des étalages du petit marché quand elle bouscula quelqu'un par inadvertance. Levant les yeux du carquois de flèches finement ouvragé qui avait attiré son attention, elle s'excusa distraitement.
