Jardins

[cuisine]

Bon ben voilà il y était. Alec se tenait au bord de l'onde claire et limpide d'un petit ruisseau. Nimilith brillait doucement, éclairant le jardin paisible et ensommeillé d'une lumière fantasmagorique. L' atalantea fixait la dame de la nuit, réfléchissant au comment du pourquoi il s'était retrouvé dans cette situation. Au niveau vestimentaire, il avait opté pour une certaine sobriété: un pantalon noir, une chemise en soie de couleur bleue-nuit et un manteau long noir également décoré de simples arabesques argentées. Le tout était agrémenté de quelques clous et de quelques chaînes; il avait noué ses longs cheveux noirs aux reflets bleutés en un catogan grâce à un lacet en cuir noir, le même que celui que portait Eléa lors de leur première rencontre.

Au bout d'un certain temps, il s'assit à même le sol et, les yeux fixés sur le cours tranquille de l'eau, murmura un poème qu'il avait jadis appris de l'impératrice nagaeru elle-même.

"Ô Nimilith, toi qui veille sur ceux qui sont perdu,
toi qui éclaire les sentiers obscurs et sinueux,
toi qui protège les voyageurs et leur assure une route dénuée de périls.

Ô dame de la nuit, mère bienveillante, reine éternelle,
prête-moi l'oreille, ois ma supplique, guide moi de tes précieux conseils,
et permet-moi de m'écarter du chemin le plus vil."

Bon d'accord ça ressemblait plus à une prière, mais après tout, n'était-il pas désespéré ? Enfin, c'était surtout la suite de l'ode qui le concernait sans doute le plus.



Il y avait encore plusieurs strophes mais l'émotion qui saisissait à présent Alec à la gorge l'empêchait de continuer. Avec cette pière revenait tant de souvenirs ... s'en était trop pour le prince.

[Salle de réception]

Quelques instants plus tard, la jeune Reine était dehors en compagnie de la magicienne. Celle-ci avait aidé la sen'yo à se recoiffer et l'avait entraînée dehors se promener dans les jardins, sans vraiment lui demander son avis. Eléa avait été étonnée, mais avait accepté volontiers, la chaleur du Palais était étouffante, et vu le nombre d'invités, ça n'était pas étonnant.
Eléa s'était couverte d'un simple châle, comme un voile noir autour de ses épaules. Sortir ainsi sans prévenir ses gardes et sans protection autre que la barrière magique était dangereux, mais elle avait de la ressource et elle savait se défendre.
Les deux jeunes femmes marchèrent un instant côte à côte, discutant de la fête qui se déroulait. La Reine sentait cependant que sa Dame de Compagnie n'était pas très appliquée dans la conversation. Leyna abandonna d'ailleurs la fausse ambassadrice à l'approche, reconnaissable au bruit caractéristique du courant, d'un ruisseau. Elle avait soi-disant reçu un appel télépathique d'Arkam lui demandant de le rejoindre immédiatement. Surement pour la cuisine avait-elle précisé.

Eléa avait donc continué de marcher un instant, sans dévier sa direction. Elle avait entendu une voix et s'était approchée silencieusement. La voix, masculine, récitait les vers d'un poème nagaeru. La jeune Reine le connaissait bien, Claire le lui avait appris il y avait quelques années de cela.
Cependant, l'homme a qui appartenait la voix ne cita que les quatre premières strophes de l'ode. Elle s'était alors dévoilée, déclamant les trois vers suivants dans un sourire :

"Ô toi, qui depuis les contrées célestes,
Apporte aux âmes torturées la paix et la sérénité,
Eclaire-moi et aide-moi à continuer d'espérer."

Elle ne voyait pas encore le visage de l'homme à qui elle avait à faire, mais quand celui-ci se retourna, elle eu cette impression, la même qu'elle avait eu en voyant Arkam et Leyna. Elle l'avait déjà vu. Elle n'en laissa cependant rien paraître.

"Eléa, ambassadrice de la Reine d'Oniria."

Elle tendit la main, attendant le baise-main.

"Que vaut à Nimilith cette prière si désespérée ?"

Cette question n'attendait pas vraiment de réponse.

"Vous ne participez pas à la fête ? Je ne vous y ai pas vu."

Lorsqu'il avait entendu la douce voix d'Eléa s'élever, il ne s'était pas retourné. Il n'avait pas besoin de la voir pour reconnaître la femme qu'il avait aimé ... non, qu'il aimait. Il était difficile pour lui de décrire les sentiments qui l'animait:
tristesse, espoir, peur ... le prince ne savait pas trop où il en était.

Alec finit cependant par se lever et se retourner vers l'être féerique. Il s'approcha doucement d'elle et lui fît un baise main.

-" Alec Kandarar, enchanté de vous rencontrer"

Le prince ne pensait pas que préciser son titre était utile, le lien entre ce dernier et son nom semblait évident; de plus, il n'était pas vraiment fier de qui il était. Il releva la tête et la gratifia un léger sourire qui se voulait joyeux, mais il avait bien conscience qu'il ne faisait certainement pas illusion.

L'atalantea éluda la première question et se contenta de répondre à la seconde.

-" Disons que les fêtes n'ont jamais vraiment été ma passion ... de plus, je ne suis pas en très bon terme avec le seigneur de ce lieu ces derniers temps, et ... je crains qu'il ne sache même pas que je suis ici ..."

Alec n'avait aucune intention de mentir à Eléa sur ce point.

-"Je préfère largement le calme des jardins et la fraîcheur de la nuit."

Et ces paroles n'étaient pas dit pour la forme non, Alec ne connaissait rien de plus agréable que les grands espaces, les chevauchées à dos de dragon, les loopings, la vitesse; tout ça faisait bouillir son sang d'atalantea, le faisait vibrer du plus profond de son être.

-" Et vous ? que faites-vous dehors alors que la fête se déroule à l'intérieur ?"

Bien évidemment il savait très bien pourquoi mais il fallait jouer le jeu.

Le prince héritier, chef des armées atalanteas... La jeune femme ne laissa rien paraître de son mal aise, gardant un sourire des plus sincères sur le visage.

"Pourtant la fête est un excellent moyen de décompresser, de s'amuser et... de se réconcilier..."

Elle eut un sourire doux. Elle avait du mal à détacher les yeux de ce visage si familier et pourtant inconnu. C'était bel et bien la toute première fois qu'elle le rencontrait.

"Il est vrai cependant que les jardins sont magnifiques et que cet endroit est reposant. Je prends l'air, à l'intérieur la chaleur est étouffante, la fraîcheur est un vrai régal. Je me promenais, j'allais retourner à la salle de réception quand je vous ai entendu réciter ces vers que je connais bien."

Elle frissonna, elle commençait à avoir froid.

"Je me suis permise de vous troubler dans vos méditations, dites-le moi si je vous dérange." ^^

Bien que méfiante à l'égard de celui qui se tenait en face d'elle, elle devait avouer que sa voix douce lui inspirait confiance. Elle était de nature naïve, cela n'avait pas changé chez elle, même si c'était moins présent.
Elle avait l'intime conviction qu'elle l'avait déjà vu, et sa méfiance s'en émoussait.

"Il fait un peu trop sombre, vous ne trouvez pas ?"

Elle claqua des doigts et des dizaines de petites lucioles apparurent, illuminant le cours d'eau et l'endroit où ils se trouvaient d'une douce lumière d'un vert diffus.
Elle en profita pour observer un instant de plus ce visage qu'elle connaissait. Se reprenant, elle décida d'entamer la conversation.

"Et que venez-vous faire par ici, sans être indiscrète ?"

Lorsqu'il vit la sen'yo frissonner, il faillit enlever son manteau pour le poser sur ses épaules mais il se rappela, comme l'avait dis Leyna, qu'elle n'était plus son Eléa, et qu'il ne pouvait plus se permettre se genre de geste.
Il s'abstint donc.

-" Non vous ne me dérangez pas du tout" dit-il précipitamment et avec un doux sourire, "je ne faisais pas grand chose et rester seul comme ça n'est jamais très bon"

Bon, il oubliait simplement de dire qu'il n'était jamais vraiment seul: un saurien particulièrement susceptible squattait en permanence sa psychè.

-" Vous savez, en fait, je ne sais pas s'il m'en veut mais ... je pense avoir perdu pas mal de courage ces dernières années, au point d'avoir peur d'aller lui parler et de voir sa réaction."

Tout en disant ces mots, Alec tendit la main dans la paume de laquelle vint se poser une des petites boule de lumineuse. Il révélait ainsi ce qu'il était, un homme qui en avait trop vu, et surtout trop fait.
Vint ensuite LA question fatidique: ce qu'il faisait ici ? Il allait répondre spontanément lorsqu'il songea qu'il n'y avait peut-être pas qu'une raison. Il fixa la luciole qu'il tenait, comme hypnotisé, avant de répondre en choisissant ses mots avec application pour qu'ils expriment le plus exactement possible ce qu'il ressentait.

-"Hum ... j'ai appris il a peu de temps qu'une amie que je n'avait pas vu depuis longtemps travaille ici en tant que femme de chambre, je suis venus lui rendre visite. Mais je dois bien avouer qu'il n'y a pas que ça: je suis venus aussi pour voir s'il va bien."

Par "il", le prince entendait bien sûr son cadet et à ce moment, n'importe qui aurait pu sentir l'affection qu'Alec lui portait: après tout s'était en partie pour lui, ainsi que pour Eléa bien sûr, qu'il avait rejoint la rébellion des années plus tôt.

Eléa fut étonnée de voir un homme avec une telle réputation s'adresser ainsi à elle. On disait de lui qu'il était d'une cruauté incroyable, que seul son père le dépassait. On disait qu'il était un guerrier terrible et sanguinaire. Voilà ce qui se disait sur lui à Oniria.
Mais elle découvrait un homme très beau, qui ne portait pas les marques de la guerre, quelqu'un pourvu de sentiment et visiblement très peu sûr de lui.

"Je suis sûre le Prince Arkam n'est pas si mauvais que ça, et entre frère, on se pardonne tout. Je ne voudrais pas paraître présomptueuse, mais vous devriez aller le voir, je pense. Il sera sûrement heureux de retrouver son frère."

Elle sourit et une lueur amusée brilla dans le regard de la jeune Reine quand une luciole se posa sur la paume du Prince.

"Peut-être me parlez-vous de Leyna, c'est une femme admirable, je l'apprécie déjà beaucoup et lui porte une estime particulière."

Elle marqua une pause, s'approcha d'Alec et entoura la main du jeune homme qui portait la luciole avec les siennes, plus petites et plus fines.

"Quant à votre frère, je ne sais pas s'il va bien, en tout cas, il n'a pas l'air d'aller mal, je le répète, vous devriez aller le voir." ^^

L'insecte s'envola des mains du Prince, fit un tour autour de lui, puis un second autour des deux jeunes gens puis s'éloigna. Eléa sourit puis lâcha la main guerrière qu'elle tenait. Elle se détourna, regardant à présent Nimilith.

"Dites euh... Je ne voudrais pas... Paraître folle mais..."

Elle hésita un instant, puis continua. Elle était devenue très sérieuse.

"Ne nous serions-nous pas déjà vu auparavant ? Il y a très longtemps ?"

Elle laissa un instant silencieux passer.

"Oh ! Oubliez ce que je viens de dire..."

Elle avança au bord de la rivière et enleva ses chaussures, lui faisant perdre plusieurs centimètres sur sa taille qui n'était déjà pas bien grande. Elle s'assit sur la rive tout en plongeant les pieds dans l'eau en frissonnant, l'eau était glacée.

-*Allô Nimilith ici Selenei !*

Ce commentaire, que dis-je, ce véritable cri télépathique de Kane n'avait pour but que de réveiller l'atalantea. Atalantea qui à ce moment précis n'était présent que physiquement, son cerveau s'étant quelque peu déconnecté de la réalité au moment où Eléa avait pris une des mains du prince dans les siennes.

-* ALEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEC !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!*

Le choc de ce deuxième appel refit enfin prendre pied au susnommé.

-" Hem ... oui je suppose que vous avez raison "

Il était gêné, bon d'accord il était TRES gêné, et c'est donc avec un grand soulagement qu'il vît l'être féerique lâcher sa main et se diriger vers le bord du ruisseau pour y tremper ses pieds.
Alec sourit, ce qui devenait de plus en plus fréquent ces derniers jours, en faisant un constat pourtant tout^bête.

-Au final, rien n'a beaucoup changé. Leyna est toujours aussi têtue et impulsive, Eléa me met toujours dans l'embarras même si c'est involontaire, et elle essaie toujours de se grandir avec des talons.

Si l'on exceptait la perte de mémoire de la sen'yo et tous les autres évènements dramatiques, rien n'avait vraiment changé non. tout à ses réflexions, Alec vint s'asseoir à côté d'Eléa.

-" Pourquoi posez-vous cette question ? Vous pensez que nous nous sommes déjà rencontré ? Après tout, si vous êtes déjà venu ici, il se peut très bien que nous nous soyons déjà vu, même de loin."

Oui il tournait autour du pot et alors ! Ce n'était pas facile de parler avec son amour qui ne se rappelait plus de lui !

Eléa se tourna vivement vers lui, à la fois étonnée et méfiante, scrutant le visage de son voisin. Elle porta sa main à son cou, saisissant sa citrine et se mettant à la triturer, seul mouvement de son corps, trahissant sa nervosité.

"Qu... ?"

Elle s'interrompit, réfléchissant à ce qu'il venait de dire, cherchant un sens à ces mots. Ce n'était pas là, la réponse que l'on aurait pu attendre après une telle question. Elle avait depuis bien longtemps imaginé toutes sortes de réplique, la plupart du temps négative, parfois positives... Mais jamais aussi... Neutre ? Jamais en lui répondant par une autre question.

Elle émit deux hypothèses. Soit cet homme la connaissait et ne voulait pas lui dire, en ce cas elle se méfierait plus de lui. Soit il donnait simplement l'idée qu'ils avaient pu se croiser sans qu'il ne s'en rappelle, et là, il ne lui serait d'aucune utilité.

Elle le fixait toujours, cherchant soigneusement ses mots. Elle se calma, ne faisant que tenir la pierre orangée.

"C'est simple, dites-moi seulement si vous vous souvenez de moi ou pas. Nous sommes-nous déjà croisé et parlé ? Vous seul pouvez me répondre."

Elle n'expliqua pas pourquoi. S'ils se connaissaient, il le saurait.
Une idée la frappa alors. Venait-il pour elle ? Avait-il eu vent de quelque manière que ce soit qu'elle était ici et était-il ici pour elle ? Pour la tuer, la capturer, la menacer, faire chanter son peuple ? Etait-il dangereux pour elle ?
Elle tenta de son mieux de rester impassible, il lueur de méfiance brillant cependant dans son regard d'opale et ses doigts manipulant la gemme.

"Nous sommes-nous déjà rencontré ?" fit-elle en cherchant à percer le regard du Prince.

La première chose que nota Alec fût cette pierre orangée que tenait Eléa: son ex-compagne n'avait jamais été très bijoux, de plus il ne se rappelait pas l'avoir jamais vu avec ce pendentif. Ce fut donc avec les sourcils froncés qu'il accueillit les nouvelles interrogations, sommes toutes légitimes, de la sen'yo.

Le prince soupira: lui qui ne voulait pas éveiller la méfiance de la jeune reine ... on pouvait dire que c était plutôt raté pour le coup. Il porta également lui-même la main à son coup, cherchant le poids et la présence familière de la sphère parfaite d'améthyste qui aurait du s'y trouver. Mais rien, son coeur se serra et ce qu'il vit dans les yeux de l'être féerique, cette méfiance, ne lui fît qu'encore plus mal.

-" Et si je vous répondais que oui, je vous connais et que nous nous sommes même vu ici pour la première fois, que diriez-vous ?"

Bon d'accord il y avait plus fin comme réponse mais après tout, Eléa voulait qu'il joue carte sur table alors ....
En attendant la réponse de la fée, Alec ne pu empêcher son regard de dériver de nouveau vers la pierre que cette dernière triturait: elle ne lui disait rien, mais alors rien du tout et cela le chiffonnait. Il faudrait qu'il en parle à Eléa mais avant il devait savoir de quelle pierre il s'agissait.

Le Prince avait l'air déçu... Comme s'il avait... Raté son effet. Il avait même soupiré.

"Eh bien, je dirais que..."

Elle s'interrompit encore une fois. Le Prince regardait en direction de sa citrine. Cela la gênait, sachant pertinemment que cette pierre magique la protégeait et que si elle lui était enlevée, cela pourrait la tuer. Elle avait peur que l'atalantea veuille lui subtiliser, ayant découvert ce terrible secret.

"Voudriez-vous arrêter de regarder mon décolleté je vous prie ?"

Elle capta de nouveau le sombre regard d'Alec.

"Je dirais que... J'aimerais en savoir plus. Pourrons-nous nous revoir ? Demain par exemple ? Je ne veux pas parler de sujets si sérieux ce soir..."

Elle marqua une pause, baissant son regard.

"Je suppose que vous savez qui je suis ? Je ne suis pas une ambassadrice..."

Elle tourna son regard vers lui, souriante. Toute trace de méfiance avait disparu de son visage, elle avait enfoui ce sentiment au fond d'elle. Elle avait arrêté de triturer sa citrine, la gardant cependant dans sa main.

C'était la deuxième fois de la soirée qu'il avait l'impression de devenir rouge écarlate, et c'était aussi la deuxième fois de la soirée qu'il se sentait aussi embarrassé. Il pouvait même entendre son fidèle saurien ricaner au fond de son esprit.

-* Je viens de me rappeler pourquoi j'aimais autant cette petite. *

Avez-vous déjà entendu un dragon se tordre de rire ? Non ? Eh bien notre très cher prince pouvait dire que c'était très désagréable et bruyant. D'ailleur, il sentait le mal de tête pointé le bout de son joli petit nez.
C'est pourtant avec le sourire qu'il répondit à la sen'yo:

-" Vous avez raison, l'atmosphère est bien trop à la fête pour parler de choses aussi graves."

A la dernière question de la fée, Alec se contenta d'un doux sourire. Il se leva et s'inclina sérieusement devant elle:

-" Oui votre Altesse ..."

C'était une façon on ne peu plus explicite pour montrer qu'il savait qui elle était.

"Oh... Mais... Rasseyez-vous donc ! Nous sommes de rang égal..."

Elle sourit. Il lui plaisait. Mais il était un chef d'armée ! Et la jeune femme ne voudrait jamais, au grand jamais se laisser séduire par un tueur.
Son regard brilla d'une étincelle étrange, entre l'intérêt et la désapprobation.
Elle ne voulait pas retourner à la fête. Elle était un peu trop fatiguée pour cela.

"Ah, quelle belle soirée..."

Elle lui envoya un second sourire, sachant parfaitement qu'il rougissait à chacun de l'un d'eux.

"Vous connaissez bien les poèmes nagaerus ? Et leurs légendes ? J'ai une excellente amie de ce peuple qui m'enseigne tout cela, et je m'étonne que vous connaissiez un tel poème à la vue de votre... Profession."

Elle avait dit cela sans méchanceté. Il était vrai qu'un guerrier connaissant la poésie d'un peuple ennemi au sien pouvait avoir quelque chose de surprenant.
Elle lui lança un troisième sourire.
Il n'était pas faux de dire que la Reine jouait à ce jeu si amusant qu'était le flirt.

Décidément la couleur d'Alec pour ce soir était définitivement le rouge, et cela le tracassais quelque peu: il avait fière allure le chef des armées Atalantea à rougir comme une adolescente devant son premier amour !
Enfin, il n'y pouvait rien; Eléa avait toujours aimé le mettre en boîte et s'amuser de son embarras lors de ce genre de situation et franchement, il ne lui en voulait pas le moins du monde.

L'Atalantea sourit et décida d'entrer dans le jeu de la jeune reine

-" Que voulez-vous lorsqu'un cruel et diabolique chef des armées atalantea s'ennuie, il est de coutume qu'il s'intéresse de près à la culture des autres peuples en nouant des amitiés avec certains de leur représentants !"

Ah .... il adorait l'auto-dérision !

Heureusement que la pénombre de la nuit empêchait Eléa de voir la couleur de son compagnon. Elle n'aurait pu s'empêcher de s'en amuser et de se moquer gentiment.
Elle sourit, gênée de la réponse du Prince.

"Êtes-vous si cruel qu'on le dit ?"

Elle le regarda, comme attristée qu'un homme qui semblait si instruit et si droit pût être aussi dur.

"Mmmh, oubliez cette question, dites-moi plutôt quels genres de représentants du peuple nagaerus vous connaissez. Moi-même je connais bien l'un d'eux."

Elle sourit, comme pour se faire pardonner de sa première question.

"Si vous vous intéressez tant aux autres peuples, que savez-vous du mien ?"

Elle faisait en sorte de le mitrailler de question pour ne pas avoir à parler d'elle. Elle n'aimait pas trop cela en fait. Elle aimait en savoir plus sur ceux à qui elle parlait, et c'était d'autant plus vrai quand elle leur confiait certains secrets.

Un sourire aussi doux que triste ourla les lèvres du prince.

- Cruel ... je pense que c'est une question qu'il faudrait poser à ceux que j'ai tué et à leurs familles ....

Dire qu'il n'aimait pas le combat aurait été un mensonge aussi énorme que Kane, mais qu'il est fait preuve de cruauté .... certainement lors des interrogatoires .... mais après tout il se souciait avant tout de la sécurité de ses hommes et de son peuple .... et comme la plupart des soldats présents sur un champ de bataille, il tuait pour ne pas être tué.
L'atalantea soupira: tout ça était bien trop compliqué.

-" Je suppose que pour beaucoup de gens je dois paraître cruel ...." il avait plus pensé à voix haute qu'autre chose. C'était simplement une constatation.

La deuxième question que lui posa Eléa le ramena sur terre.

-" Eu .... quel genre de représentant ? et bien ... plutôt des nobles et des aristocrates. " ^w^"

Il se trouvait bien embêté du coup le beau prince Atalantea ! Il ne pouvait pas révéler qu'il entretenait, ou plutôt avait entretenu des rapports amicales avec l'impératrice nagaeru elle-même ! Surtout que ça ne manquerait pas d'éveiller l'intérêt de la Sen'yo ainsi qu'un flot de questions.

Il profita donc de la troisième question pour repousser le plus loin possible ce sujet épineux.

-" Je sais que le peuple Sen'yo est pacifiste, que ces représentants aiment les fêtes et les arts et en particulier le chant, la danse et la poésie. Je sais que certains Sen'yo ont un caractère pas possible et qu'ils peuvent se révéler têtus comme un arui qui se trouve devant le festin du siècle. Enfin, je sais que vous êtes très proches de la nature et que vous entretenez des liens privilégiés avec les Nagaeru. "

Et bien évidemment Alec oubliait de mentionner que, comme la plupart des peuples, ils détestaient les Atalantea.

-" Je crois bien qu'en ce qui concerne mon propre peuple vous en sachiez assez pour en être dégoûté à jamais. "

Un lourd silence tomba entre les deux êtres.
Eléa s'en voulait d'avoir posé cette stupide question.

"Euh... Pardonnez-moi, je n'aurais pas dû... Enfin... Cette question était d'une bêtise ! Je suis sûre que vous n'êtes pas comme ça, après tout, il y a aussi des généraux chez nous, et ils ont beaucoup tué aussi, sont-ils pour autant si cruels ? Je ne pense pas ! Et puis..."

Elle s'interrompit brusquement, terriblement gênée. Elle décida donc de changer de sujet et de repartir sur son peuple.

"Vous savez, mon professeur m'a toujours appris à ne pas juger sans connaître. Et lire des choses dans les livres, ça n'est pas connaître. Toutes les légendes et les rumeurs, je suis persuadée que plusieurs sont fausses. La cruauté par laquelle on vous décrit volontiers, peut-être ne prend-elle base que sur la cruauté de Votre Empereur..."

Elle s'interrompit. Deuxième boulette. L'Empereur n'était autre que son père.

"Pardonnez-moi, je ne sais plus ce que je dis, peut-être ai-je un peu trop abusé du vin."

Elle ajouta, plus bas, tête baissée et toute empourprée.

"En tout cas, vous n'avez pas l'air si cruel qu'on veut bien le dire. Au contraire même."

Les yeux d'Alec s'ouvrirent en grand, comme deux soucoupes avant que le prince ne se mette à pouffé de rire.
Ce n'était pas tant la gêne de la sen'yo qui l'amusait que cette maladresse attendrissante dont elle faisait preuve et qui rappelait à l'atalantea beaucoup de souvenirs.

-" Vous savez, vous n'avez pas à vous excuser ou vous sentir gênée par rapport aux paroles que vous avez proféré sur mon père car tous ce que vous avez dis est vrai. "

Il tenta de réprimer son fou rire naissant et une fois calmer reprit d'un ton un peu plus sérieux.

-" Mon père est un véritable tyran qui considère tous les autres êtres vivants comme des objets, des pions, qu'il peut manipuler comme bon lui semble pour arriver à ses fins. Même ses propres enfants; je n'ai jamais reçu la moindre once d'amour de lui, pas de compliments non plus alors qu'il me tuait à la tache en me laissant à moitié mort à la fin de chaque entraînement. Même après cette affreuse cérémonie il ne m'a jamais considéré autrement qu'un pion ... alors vous voyez vous pouvez en dire tout le mal que voudrez, je ne le défendrais pas."

Le prince avait conclu avec l'air détaché de celui qui ne s'en soucie pas plus que ça.

"Oh, je suis désolée..." dit-elle, avec ce ton que l'on utilise quand on vous apprend la mort de quelqu'un.

La jeune Reine fut quelque peu déstabilisée par le ton si détaché qu'avait utilisé son interlocuteur. Un flot de question incroyable s'engouffra instantanément dans l'esprit de la fée. Elle le contrôla et en choisit une qu'elle prit le temps de formuler.

"Mais... (Elle marqua une pause.) Si vous n'êtes pas d'accord avec ses idées... Pourquoi vous battez-vous pour lui ? Vous pourriez vous enfuir et vivre des jours paisibles ailleurs, ou vous rebeller ! Oh, bien sûr, c'est tellement plus facile à dire !" ^^

Eléa avait retrouvé toute sa contenance.
En parlant de braver l'autorité parentale, elle ne savait pas vraiment de quoi elle parlait. Son dernier souvenir avec ses parents remontait à ses quinze ans, vingt-cinq ans auparavant. Elle n'avait jamais eu le problème de devoir se battre contre ses parents, puisqu'elle avait été gâtée, et même pourrie par ses parents. Il avait d'ailleurs été très difficile pour elle, comme pour ses conseillers de revenir à la réalité et de se consacrer à son statut de reine, rempli d'obligations et de devoirs de toutes sortes.
Elle changea de position, se tournant d'un quart de tour vers le Prince et remontant ses genoux contre elle, les entourant de ses bras.

"Ne vous étiez-vous pas déjà rebellé d'ailleurs ? Je ne puis m'en souvenir, Claire, mon amie et professeur, m'a juste raconté, très rapidement !"

Ses conseillers n'avaient jamais voulu lui en dire plus à ce sujet, elle qui s'accrochait tant à ce qu'elle pouvait savoir de la période si trouble et voilée de son passé.

"Si je vais trop loin dans mes questions, dites-le moi, n'hésitez pas à m'arrêter, je peux me montrer si indiscrète !"

Elle lui fit un sourire désolé.

Alec fît "non" de la tête.

-" Je comprend ... il est tout à fait normal que vous vouliez lever le voile sur ces années de votre vie que vous avez oublié."
Il fixa son regard sur Nimilith essayant de choisir ses mots, de débrouiller ses pensées.

-" Vous savez je crois que cette période de l'Histoire ... la Résistance ... est assez nébuleuse pour tous le monde. Parfois je me demande si ce n'a pas été qu'un simple rêve au beau milieu d'un cauchemar permanent."

Ce fût à ce moment que le Prince remarqua quelque chose qui clochait: une ombre qui se découpait dans la douce lumière de la Dame de la Nuit.

-" Kane ? " Oo

Mais qu'est-ce que venait faisait ce stupide lézard à un moment pareil ?

- *Ben quoi j'ai pas le droit de me dégourdir un peu les ailes ?*
- Mais pas ici voyons ! Et si quelqu'un te voit ?
- *Pour ça je crois que c'est trop tard ...*

L'atalantea tourna son regard vers la sen'yo qui regardait le ciel avec des yeux ronds.

"C'est triste..."

Elle lui fit un sourire désolé avant de tourner son regard vers Nimilith.
Ses yeux s'écarquillèrent de surprise, puis la peur s'afficha sur son visage. Une ombre noire sur la douce lumière iridescente de le Grande Dame avait attiré son attention.
Un dragon ? Elle lança un regard au Prince, qui ne semblait pas plus surpris.

"C'est votre dragon, n'est-ce pas ?"

Une peur indicible de l'ombre et de la nuit pris la jeune Reine, si lumineuse. Elle fixa le dragon, paralysée, comme s'il était là pour l'attaquer, elle en était démunie. Les lucioles qui illuminaient le lac disparurent en une seconde.
Elle attrapa le bras d'Alec.

"S'il vous plaît, arrêtez-le."

La crainte faisait légèrement trembler sa voix. Elle fixait toujours le saurien, surveillant ses moindres écarts dans le ciel.

"S'il vous plaît." le supplia-t-elle.

Elle ne comprenait décidément pas d'où lui venait cette peur, elle qui était d'habitude si courageuse. Le dragon ne montrait pourtant aucun signe d'agressivité. Le sentiment était juste là.

-" Vanda !"

L'ordre fut bref, cinglant. L' ancienne langue emprunte de magie coula naturellement de la bouche du Prince, et là-haut, l'ombre vacilla un instant, comme frappé par un éclair invisible. Puis, elle vola en cercle pendants une ou deux secondes et disparut derrière l'orée de la forêt proche.

Alec regardait l'endroit où le dragon avait disparu avec une anxiété palpable. Il avait le pressentiment qu'il était allé trop loin cette fois: Kane n'était plus en aussi bonne condition que plusieurs années auparavant. Secouant la tête pour chasser son inquiétude grandissante, il reporta son attention sur la jeune reine.

-" Vous allez bien ? Je ... je suis vraiment confus, je lui avais ordonné de ne pas survoler le château et ses alentours."

Le regard d'Eléa resta fixé de longues secondes sur l'horizon où l'énorme dragon avait disparu. L'angoisse avait diminué, mais une vive étincelle de peur vrillait encore les yeux de la reine.

"Merci..." souffla-t-elle.

Elle relâcha le bras d'Alec. Elle l'avait serré si fort qu'elle en avait froissé sa veste.

"Désolée... Je ne sais pas ce qui m'a pris..."

Elle prit une profonde inspiration dans l'air frais de la nuit. L'absence totale de lumière hormis la présence de Nimilith ne facilitait pas le retour à la normale des émotions de la fée. L'angoisse était toujours présente, et elle reportait constamment son regard vers l'endroit de la forêt où devait se trouver la noire créature.

"J'ai, depuis toujours, une grande peur de ces..."

Le mot "animaux" resta coincé dans sa gorge. Ces choses n'avait rien d'animal. Ils étaient monstrueux. Cauchemardesque. Tout droit sortis de l'Enfer.

"De ces créatures." finit-elle par dire. "Je n'aime pas particulièrement les animaux à écailles, mais les dragons..."

Elle avait dit dragon d'une manière qui traduisait son dégoût et son angoisse. Comme s'il s'agissait de l'être vivant le plus abominable au monde.
Elle resserra son étreinte autour de ses jambes, surveillant le ciel par des coups d'oeil vifs et anxieux.

Alec fixa la sen'yo avec un regard rempli de tristesse: il avait été choqué par le ton qu'elle avait employé en prononçant le mot "dragons". Elle qui s'entendait si bien avec le saurien ...
Ne pouvant rester assis plus longtemps, l'atalantea se leva en proie à une agitation nerveuse qu'il essayait tant bien que mal de réprimer.

-" Vous savez ...", son ton était on ne peu plus sérieux, " ... les dragons sont loin d'êtres de vulgaires animaux, ils sont infiniment plus sages que n'importe quel autre être vivant ...".

Il tournait le dos à Eléa, les paroles qu'elle avait proféré avaient réveillé en lui une âpreté et une rage qu'il tentait de contenir et qui faisaient trembler sa voix.

-" Kane est loin d'être une simple monture, c'est un ami très cher, un égal. "

Il se tourna enfin vers la jeune femme.

-" Je n'aurais jamais dû faire ce que je viens de faire. Je parie qu'il ne laissera pas passer ça aussi facilement ..."

Le Prince respira longuement et doucement. La colère qu'il ressentait s'évanouissait petit à petit; il ne pouvait pas blâmer Eléa, les dragons n'avaient pas bonne réputation et ce n'était pas la faute de la jeune reine.

La Reine se leva à son tour. Elle chercha l'appui d'un arbre. Adossée contre l'un d'eux, elle observait Alec. Sa nervosité l'inquiétait. Peut-être sa cruauté ne se montrait-elle que quand il était en colère ? Sa voix tremblait tant il se retenait pour ne pas éclater de rage.
Elle ne dit pas un mot. Jamais on ne lui avait parlé sur ce ton.

"Je déteste ces créatures... Qu'elles soient animales ou pas. Pour ma part, je dirais que ce sont des monstres. D'une cruauté inimaginable."

Sa voix était glacée. Sa peur était toujours là, mais maintenant elle était en colère. Vexée des mots du Prince, comme une petite fille sous les remontrances de ses parents.

"Je ne maîtrise pas ma peur. Que cette chose soit votre ami, soit... Vous êtes atalantea, c'est normal en même temps. Où avais-je la tête quand je pensais que vous étiez quelqu'un de plus sensible qu'on ne pourrait le croire de prime abord ? Vous êtes cruel, vous aimez les monstres cruels. C'est logique après tout."

Son ton était monocorde, glacial. Dans son regard brillait une étincelle de colère.
Elle se décolla de l'arbre et fit quelque pas pour quitter Alec.

"Je devrais me méfier un peu plus de vous." lui dit-elle les yeux dans les yeux.

Elle lui tourna le dos, gardant toute son attention concentrée sur le Prince des ténèbres. Au moindre geste brusque de la part d'Alec et elle se retournerait, arborant une boule de lumière de 15 centimètres de diamètre.

Alec cru que son coeur s'était arrêté, ou plutôt que l'on venait de le lui arracher de la poitrine, puis qu'on avait comblé l'espace vide avec de glace pilée avant de recoudre le tout.

Il porta la main à sa poitrine, se rappelant au dernier moment que la pierre qui était d'habitude contre son coeur était absente. Le Prince serra les poings dans l'espoir de maîtriser les tremblements naissant qui parcouraient son corps. Il avait envie de partir, maintenant, de retourner dans les montagnes, de quitter ce château le plus vite possible pour essayer de préserver le peu de son esprit qui n'agonisait pas encore.

Sa voix fut cependant ferme lorsqu'il reprit la parole:

-" Bien, si c'est là ce que vous pensez je crois que je vais allez voir de ce pas comment se porte mon monstrueux compagnon ..."

Là, maintenant, il devait partir, se détourner d'Eléa mais ses jambes refusaient de bouger: il était paralyser.