Jardins

"Parce que les dragons peuvent aller mal ? Ils sont peut-être très intelligent, mais j'imagine qu'ils sont comme vous... Dépourvus de sentiments."

Elle se retourna, faisant face au Prince.

"Allez donc voir comment se porte votre monstre."

Remarquant qu'il ne bougeait pas, elle fit un sourire narquois.

"Alors ?"

Elle soupira. Sa colère la rendait imbuvable. C'était une chose qui avait changé en elle. Elle devenait impitoyable quand la colère était en elle, voire même sadique. Plus elle était en colère, et pire c'était.
Elle était aveugle, ne se rendant plus bien compte de la personne à laquelle elle parlait.

"Le grand Prince de la Mort aurait-il peur de la lumière ?"

Elle marqua une pause.

"Vous êtes quelqu'un de dangereux. Vous possédez un dragon. Vous êtes quelqu'un de cruel, après tout, chaque rumeur a une origine dans la vérité. Si nous nous sommes déjà vu, ça n'étaient forcément pas de bons souvenirs."

Elle devenait haineuse. Il était vrai que son caractère n'en était pas l'unique responsable. La magie avait sa part d'explication. En effet, son gouvernement avait prévu des manoeuvres d'urgence au cas où elle rencontrerait Alec. Et la haine venait de pointer son nez dans le coeur si pur d'Eléa.
Ses yeux brillaient. On pouvait y lire de la colère principalement et de la fierté. En sachant lire son regard, on pouvait y voir une légère étincelle de peur à la venue du dragon. Et par derrière tout ça, il y avait de la magie. Comme une forme d'hypnose dont Eléa ne pouvait s'apercevoir.

Elle resta debout, face à celui qu'elle avait autrefois aimé de toute son âme, ses yeux d'opale plongés dans ceux du Prince.

Une idée, une supposition faisait son chemin petit à petit dans l'esprit du Prince: quelque chose clochait. Plus il était certain que le venin qui suintait des paroles de la sen'yo n'était pas volontaire, plus la sensation de froid qui l'avait saisis se dissipait. Il soutint le regard de la jeune femme mais dans les deux orbes grises ne se reflétait plus la tristesse; il réfléchissait et il était déterminé à comprendre ce qu'il se passait.

- Eléa n'a jamais eu la moindre parcelle de haine en elle. Elle peut blesser quelqu'un sous le coup de la colère, laisser échapper des paroles malheureuses comme tout le monde. Mais la haine ? non, définitivement non.

Il flairait la magie, c'était l'unique explication à cette transformation. Celle qui influençait la jeune reine devait être puissante, il n'y avait pas beaucoup d'individus capable de cela: du moins pas seuls. Il devait en parler à Leyna et peut-être à l'impératrice nagaeru: ensemble, ils pourraient trouver une solution.

- "Que de fiel dans vos paroles. Et moi qui pensait que vous n'étiez pas capable d'une telle amertume ... vous avez bien changez ma chère !"

Détourner son attention, Alec tentait de piquer la curiosité de la jeune femme sans savoir s'il y arriverait.

Eléa fut surprise. Cependant, elle prit soin de le cacher, sa colère n'étant pas encore calmée.

"Vous ne me connaissez pas. C'est impossible que j'ai pu être assez proche de vous pour cela. Je ne côtoie pas les enfants du Diable dans votre genre..."

Elle leva le menton, fière, presque hautaine.

"Que faites-vous donc encore ici, vous ne partez pas voir votre monstre de monture ?"

Elle attendit un instant, comme voulant une réponse. Mais si Alec eut le moindre signe montrant qu'il allait parler, Eléa ne lui laissa pas la chance de continuer.
La question avait fait le tour de son esprit. Sa colère diminuait, sa curiosité augmentait.

"Nous ne nous sommes pas vraiment connu, pas vrai ?"

Son ton s'était adoucit. Brusquement, elle se reprit, reprenant son ton hautain.

"Pas vrai ?!"

Alec retint le sourire qui menaçait d'apparaître sur ses lèvres. Eléa n'avait pas changé, sa curiosité l'emportait sur tout le reste.

-" Je fais parti de votre passé que vous le vouliez ou non, que vous vous en rappeliez ou non. Et en ce qui me concerne, ces quelques années sont les moins noires de toutes mon existence."

Le sourire avait finalement gagné: ce sourire moqueur et doux à la fois si particulier à l' atalantea, ce sourire qui n'avait pas eu l'occasion de s épanouir souvent sur son visage ces 17 dernières années.

Il se rappelait les mises en gardes de Leyna mais il n'y pouvait rien, il aiderait la sen'yo à recouvrer la mémoire si c'était ce qu'elle désirait. Il entendait presque la voix de son "père": "Trop sensible " et voyait le sourire mauvais qui allait de paire avec ces mots.
Son choix était fait depuis longtemps et il n'avait plus rien à perdre. Toujours immobile comme statue, le Prince attendait une réaction de la part de son aimée.

Ce sourire... Moqueur et... Doux. Doux ? Non, Eléa devait rêver...

"Et ce que vous m'avez fait subir était tellement terrible que mon cerveau a préféré l'effacer de ma mémoire ?"

Elle s'avança d'Alec, son regard perçant, sondant celui du Prince. Son ton était devenu monotone et cassant.

"Je doute que nous ayons pu être proche. Comment la Reine des sen'yo et le Prince des atalantea auraient-ils pu passer suffisamment de temps ensemble pour cela ? C'est impossible, mon peuple n'aurait pas laissé faire ça, jamais ils ne m'auraient laissé en danger comme cela."

Elle laissa échapper un léger rire, comme narquois.

"Les années les moins noires de votre existence dites-vous ? Si vous les avez passées à proximité de moi, c'est normal, je suis la Reine Lumière, pas vrai ?"

Elle eut un second rire moqueur, ce genre de rire qui ne lui ressemblait pas et qu'elle n'utilisait que rarement.

"Et quand bien même vous diriez la vérité, comment pourrais-je en être sûre ? Il me faudrait une preuve ! Une preuve immuable ! Vous êtes puissant, il est facile pour vous de mentir, malgré les sérums de vérité. Donnez-moi la preuve de votre sincérité, et là alors, je voudrais bien vous écouter."

Arkam avait attendu Leyna un bon moment dans son cabinet de travail, mais il fallait reconnaître que la patience n’était pas son fort. Il avait tourné en rond pendant de longues bonnes minutes, se demandant pourquoi celle-ci mettait tant de temps à se présenter. Soudain il faut pris d’un mauvais pressentiment. Et si elle avait voulu l’éloigner de la reine ? Et si… Il se concentra. Personne ne pouvait passer totalement inaperçu dans son palais bien longtemps.
Ses doutes se concrétisèrent : il ressentit faiblement la présence d’Alec. Le charme dont il faisait usage pour passer inaperçu était sans doute puissant, mais il avait plus d’un tour dans son sac pour ce genre de charme.
Il sortit donc du bureau, maudissant au passage cette petit inconsciente de Leyna qui était sans doute derrière cette rencontre. Il se dirigea vers le seul endroit où Alec aurait pu cacher la présence de sa monture, à savoir ce bon vieux dragon de Kane. Il sortit en direction des serres. Si jamais Alec ou son saurien s’avisait de toucher à sa serre à papillon, il allait faire un malheur. Il prit donc la direction des jardins à grandes enjambées, passa non loin du lac et d’un couple de jeunes gens, puis se dirigea vers la serre en question. Minute ! Ce couple, ce n’était pas ? Argh ! Enfer et damnation ! Il fit marche arrière aussitôt et observa le couple. Pas de doute ! Leyna avait joué un sale tour qui pourrait tourner au drame s’ils n’y prenaient pas garde… Et voila ! En plus la rencontre entre les deux amoureux ne se passait pas bien ! Bon… Comment allait il intervenir dans cette scène sans paraître louche ? Il vit du coin de l’œil une petite servante égarée, elle cherchait apparemment à allumer quelques lampions dans les environs. Le prince s’avança vers elle et lui facilita grandement la tâche en les allumant d’un seul coup, tous à la fois. Celle-ci fut surprise et semble prendre peur.

« Oh pardonnez moi votre altesse, je ne savais pas que vous étiez… » Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase, que déjà le blond avait passé une main autour de sa taille et s’était armé d’un sourire coquin. Il posa un doigt sur ses lèvres, la jeune fille était tétanisée.
« Allons, je ne vais pas te manger, comment t’appelles tu ?

_ Sa… Saryah Messire » Elle avait du mal à cacher son trouble et semblait vouloir le fuir maintenant. Il relâcha son emprise et elle se déroba, courant vers le couple. Bien ! Il commença à lui courir après, la rattrapa sans mal et lui murmura des mots doux avant de chercher à l’embrasser. Il se figea. Alec et le reine Sen’yo le regardait. Il avait capté leur attention.

« Hem ! Bonsoir votre Altesse. » Il se courba devant son frère. Son ton était glacial et ses gestes emprunt du cérémonial adéquat pour saluer son supérieur. « Que me vaut l’honneur de votre visite ici ? »

Politesses, encore et toujours. Il était mitigé quand à l’attitude qu’il devait adopter face à son frère. Il l’aimait, mais en même temps quelque chose s’était brisé dans sa relation avec son aîné. Alors il resta courbé, attendant que celui-ci lui donne l’autorisation de se relever.

Une preuve ? La jeune reine lui demandait une preuve ? Et comment était-il censé la lui donner ! Il ne pouvait pas lui dire: "Mais voyons, nous étions ensemble, mariés et nous avons même eu un fils !". Alec en était sûr désormais: il était maudit.

Le Prince était tellement occupé à se creuser la tête pour trouver une réponse valable qu'il ne se rendit compte de la présence de son frère que lorsque celui-ci attrapa une servante qu'il essayait visiblement d'embrasser. La malheureuse ressemblait à une pauvre souris aux prises avec un serpent.

Il regarda son frère s'avancer vers lui avant de s'incliner comme le voulait l'étiquette.
Alec ferma les yeux et inspira profondément: ça faisait mal, mais il l'avait mérité. Après tout, il avait trahis Arkam alors ce n'était qu'un juste retour des choses.

- "Vous pouvez vous relever, " bien que son ton fût autoritaire, le tremblement de sa voix était facilement audible, " ma présence ici n'a rien avoir avec l'Empire, si c'est ce que vous sous-entendez. "

Le Prince rouvrit enfin les yeux et les fixa dans ceux de son cadet.

- " Je suis simplement venu voir une amie, une servante, qui a des nouvelles à me donner. Ceci, " dit-il en pointant le bracelet, "n'est à mon poignet que pour éviter que vous gaspillez votre temps avec un invité qui ne va rester que le temps d'une soirée. "

Alec enleva le bijou désormais inutile et son aura se répandis autour de lui.
Il ne savait pas vraiment quoi faire: une partie de lui lui hurlait de partir, que venir à Anfauglith n'était qu'une monumentale erreur; mais une petite voix lui soufflait le contraire. Et cette voix, si ténue et fragile fût-elle, ne cessait de répéter la même litanie: " restes ".

La discussion tourna court grâce à l'interruption plus ou moins impromptue d'Arkam.
Pendant le laps de temps qui suivi, Eléa réfléchit le plus rapidement possible. Cet Alec savait quelque chose sur elle, quelque chose de très important, et elle se devait de le découvrir, cependant, elle ne désirait pas vraiment passer un instant de plus avec lui.
Les deux frères semblaient forts distants, mais cela ne l'étonnait guère, après tout, ces monstres pouvaient-ils connaître l'amour fraternel ?

Elle revint au moment présent en même temps que le Prince héritier enlevait son bracelet. Une aura puissante se répandit autour d'eux. Brusquement, la Reine sen'yo fut prise de vertige. Des images floues se mélangeaient dans sa tête, des pensées, des souvenirs, des mots, des émotions, tout se bousculait dans un joyeux méli-mélo.
Quand elle revint à elle, les regards étaient posés sur elle, dénotant une certaine inquiétude quant à son état de santé.

"Bien !" dit-elle, sur un ton faussement impérieux, "Je vais aller me coucher. Très belle fête cher ami. Je vais également faire renforcer la garde autour de mes appartements."

Elle jeta un rapide coup d'œil à Alec et s'en alla à grand pas vers le palais.

Une fois dans sa chambre, préparée pour la nuit, elle s'assit sur son lit pour cogiter sur tout ce qui était arrivé ce soir.
Elle chercha à se souvenir des images qu'elle avait vu quand le trouble s'était emparé d'elle, mais sans succès.
Elle se coucha, fixant le plafond sans trouver le sommeil.